Admirez la belle façade baroque de l’église, puis entrez hardiment. Vous ne pouvez pas le rater : à droite du chœur, il est là, sagement debout sur sa console ! Le coutelas lui fend le crâne d’une oreille à l’autre. Pourtant, pas la moindre goutte de sang ; il n’a pas mal non plus : il lève les yeux au Ciel où il va entrer dans quelques instants. C’était le but de sa vie, il devrait être joyeux. Son regard me semble mélancolique : hésiterait-il ? Pas du tout !
Regardez : il lève les yeux vers le Créateur pour demander son pardon au moment ultime, tandis que de la main droite il bat sa coulpe… même les saints sont des pécheurs. Sa main gauche tenant fermement la palme du martyre montre qu’il ne regrette rien. C’est saint Andéol, le patron de l’église de Camaret. Les églises de village nous réservent de ces bonnes surprises ! Car cela fait belle lurette que les villes les ont - hélas- remisé sous les combles, ces statues que nos contemporains jugent cruelles ou d’un goût douteux et que les jeunes qualifient de trash ! On ne les comprend plus, nos vieilles statues.
Pourtant, ils en ont à nous apprendre, ces vieux saints, pour peu qu’on les regarde et qu’on les écoute ! Ils nous racontent de très vieilles histoires - celle-ci a 1800 ans, un temps où l’on risquait sa vie en semant la Bonne Nouvelle.
Le diacre Andéol venait de Smyrne avec un groupe de missionnaires pour aider saint Irénée, le fameux évêque de Lyon… un si long et si périlleux voyage : on est en l’an 208. Il est très jeune si j’en crois sa statue imberbe de Camaret. Irénée l’envoie évangéliser une terre païenne : l’Ardèche. C’est un franc succès qui attire l’attention de l’Empereur Septime-Sévère qui traverse alors le Vivarais et ne peut tolérer que l’on brave ses édits. Andéol est condamné à avoir « la tête fendue en croix par un sabre de bois »… ce doit être plus douloureux qu’un sabre bien affuté… mais je suis douillet. Son corps jeté au Rhône s’échoue sur la rive d’un hameau où une riche chrétienne l’enterre dans un beau sarcophage romain. Depuis, ce bourg s’appelle Bourg-Saint-Andéol, allez y voir son sarcophage dans l’église.
Et ne ratez pas sa statue en pierre dans sa niche sur la façade, très différente de celle de Camaret. Le sabre de bois n’est pas ici une arme meurtrière, il est juste posé derrière sa tête : un signal pour le reconnaître. Ce n’est plus le jeune homme délicat de Camaret, mais un homme d’âge mur, que l’on pressent athlétique, à la belle figure grave, tranquille, mise en valeur par une barbe bouclée et soignée ; le regard décidé annonce l’homme d’action. C’est bien celui qui a affronté les périls du voyage de Smyrne et bravé la puissance romaine. Il ne se bat pas la coulpe, mais lève la main droite pour bénir les nouveaux chrétiens et de la gauche, il tient la palme du martyre. Le sarcophage sera ouvert en 1793 par nos sans-culottes qui brûleront sa dépouille… pour effacer une mémoire que sa statue perpétue.
Une belle histoire, n’est-ce pas ? Tous les ingrédients d’une Bande dessinée y sont, jusqu’à cet incongru sabre de bois qui sert seulement à le désigner, comme dans Star Wars le casque et la cape noirs désignent Vador… Une belle histoire, je vous dis, pour les enfants et leurs parents. Une belle histoire d’action, une belle histoire de courage, une belle histoire de foi, une histoire que nos ancêtres de Camaret ont appréciée au point de faire de ce jeune homme qui n’y était jamais venu, le patron de leur belle église.
François-Marie Legoeuil