Pénétrez dans l’ancienne cathédrale Saint-Siffrein de Carpentras par le portail central. Traversez la longue nef. Au transept, entrez à gauche dans la chapelle du Saint Clou ou du Saint Mors. Sur le côté, une solide grille donnant sur une obscurité presque totale attire l’attention. La minuterie fait surgir de la nuit un petit oratoire et un autel néo-gothique de marbre blanc sur lequel est gravé un mors de cheval dans une étoile dorée à huit branches.
Pour les non-cavaliers, un mors est la pièce métallique en quatre morceaux articulés tenant les rênes, que l’on place dans la gueule de son cheval pour le guider.
Sur l’autel s’élève un haut reliquaire néo-gothique de marbre blanc en forme de chapelle dont la porte ouverte dévoile une magnifique « monstrance » en bronze doré où brille le Saint Mors !
Un moment de surprise vous laisse silencieux : quel rapport avec le Saint Clou de la Crucifixion ? Un petit saut dans le temps : nous sommes en 326, le concile de Nicée vient de se clôturer, l’empereur Constantin réside désormais dans sa nouvelle capitale Constantinople. Il vient d’ordonner des fouilles à Jérusalem sous le temple de Vénus qui avait été construit sur le Golgotha à l’emplacement même du supplice de Jésus pour empêcher ses fidèles d’y venir en pèlerinage. Hélène, l’impératrice mère, vient d’arriver pour superviser le bon déroulement des travaux. Justement, sous le temple, on vient de mettre au jour une ancienne citerne comblée avec d’innombrables croix de supplice, objets impurs que l’on ne pouvait réemployer et que l’on jetait là après usage. Hélène fait rechercher parmi les plus anciennes celles qui sont intactes. Trois répondront à ces critères. Une femme malade guérit en touchant l’une d’elles : ce sera la « Vraie Croix. » On trouve aussi trois clous : un pour chaque main et un seul pour les deux pieds cloués l’un sur l’autre.
Aussitôt ces reliques insignes prennent sous bonne garde le chemin de Constantinople. Hélène fait prélever de très nombreux minuscules fragments de la Croix qu’elle fait insérer dans des morceaux de bois ordinaire plus grands : reliques envoyées dans les grands centres spirituels de la Chrétienté. Ce seront les très nombreuses « vraies croix » que l’on peut voir et vénérer dans de très nombreux endroits en France et en Europe. Elle fait de même avec les Saints Clous dont de minuscules fragments sont insérés dans de grands clous ou de grandes lances qui deviennent autant de reliques de « Vrais Saints Clous » et de « Vraies Saintes Lances ». Aujourd’hui, les études scientifiques de ces reliques ont permis de comprendre comment on « faisait » une relique à l’époque et d’expliquer ainsi que rien qu’en France, il existe des « Vraies Croix » à Nancy, Bonifacio, Toulouse, Pontpierre, Baugé, Poitiers, Sarcelles, Saint-Guilhem-le-Désert, à Reims dans le Talisman de Charlemagne, Tarascon, Moulins, Partenay… Quant aux clous, Paris et Toul en ont dans leur trésor, et Carpentras et Milan ont tous les deux des Saint Mors…
Sur les Saints Clous, Hélène en prélèvera quelques limailles qu’elle insérera dans le casque, le bouclier et le fameux Saints Mors du cheval de son fils l’Empereur Constantin. Ces reliques sont attestées depuis son règne par Eusèbe, évêque de Césarée en Palestine et familier de Constantin qui en rédigera la biographie et écrivant au passage l’histoire de la Vraie Croix et des Saints Clous.
À Saint-Siffrein, deux tableaux retracent leur arrivée à Constantinople et la remise du fameux Mors à son fils Constantin par Hélène. Le premier tableau, immense, se trouve dans le choeur côté droit sous la tribune. L’impératrice Hélène, couronne d’or sur la tête, est accoudée sur une table avec son fils Constantin, le front ceint des lauriers de la victoire, un petit serviteur à ses côtés tient son casque, tandis que son écuyer maintient son cheval. Au-dessus, sur un nuage, deux anges et deux angelots présentent la Vraie Croix.
Quant au second tableau, je ne me souviens plus dans quelle chapelle il se trouve : cela vous fera un petit jeu pour vos enfants à qui vous proposerez de le retrouver. La composition en est semblable : devant trois suivantes et un petit page qui porte une aiguière de rafraîchissements, l’impératrice couronnée tire d’un secrétaire le Saint-Mors que Constantin saisit, un garçonnet porte son casque relique, l’écuyer tient toujours le cheval, et sur le nuage trois angelots : l’un porte la Croix, un autre la couronne de laurier, et le troisième le bouclier dont le décor est le Chrisme – monogramme du Christ. Constantin l’avait fait broder sur son étendard pour avoir Dieu de son côté. De fait, à la bataille du Pont-Milvius, il vainquit ses rivaux, gagnant ainsi le trône impérial. Ce second tableau est plus complet, car il unit le monogramme du Christ et les reliques du Christ : cette iconographie souligne que cet Empereur était bien l’élu de Dieu et le soutien de l’Église.
En 1204, au cours de la quatrième croisade, Constantinople est pillée par les croisés, de nombreuses reliques – dont notre Saint Mors – sont ramenées en Europe. 22 ans après, en 1226, on le retrouve à Carpentras où l’évêque l’intègre dans son blason.
Chaque 27 novembre -jour de la saint Siffrein -, il est exposé sur l’autel à la dévotion des fidèles : « Ceux qui la vénèrent perçoivent une présence. Ils s’assoient et la contemplent », témoigne le père Gabriel, curé de la cathédrale Saint-Siffrein de Carpentras.
Et c’est bien là le véritable intérêt des reliques : de simples objets, supports de la prière… le corps, les sens, sont convoqués pour la prière en auxiliaire de l’esprit et du coeur car l’Homme est à la fois corps et esprit.
Naguère, depuis le XVIe siècle, cette « monstrance » se faisait sur le balcon côté droit de la nef :
La renommée de la relique est telle, qu’il figure toujours sur le blason de la ville de Carpentras :
François-Marie LEGOEUIL