Le père curé, vêtu d’une belle chasuble rouge, marchait derrière huit enfants de chœur, dont l’un portait une grande croix. A leur suite, nous quittions la cour du presbytère pour marcher jusqu’à l’église.
Nous chantions, avec un net décalage entre la tête de la procession et la queue, un chant latin dans lequel on reconnaissait « Hosanna » et « filio David ». Des passants, surinformés, cherchaient le dénommé Williamson, et nous prenaient pour des intégristes. Heureux sommes-nous si on dit toutes sortes de choses erronées…
Il y avait là le troupeau habituel de familles et de personnes âgées, de louvettes et louveteaux, de guides et de scouts, d’étudiants et jeunes pro, de vieillards en chaise roulante, essayant de ne pas laisser échapper le maigre rameau de buis tavelé qu’on leur avait mis dans la main, d’enfants tout joyeux de s’agiter sans qu’on les réprimande, de retardataires satisfaits de passer inaperçus, de routiniers inquiets de ne pas retrouver « leur » place dans les travées : des gens ordinaires, en un cortège extraordinaire.
Le père curé n’était pas juché sur un âne, mais nous marchions tels des équidés paisibles, brandissant nos rameaux comme si c’étaient des chardons qu’on se réservait pour le dessert.
La religion avait quitté, l’espace d’un instant, la sphère privée où l’on tolère qu’elle se tienne, à condition de n’y pas faire de remous. Pas de cordon de CRS ni la Police Municipale, les paroissiens ne jetaient pas leurs manteaux devant le cortège, il faisait tellement beau qu’on les avait remisés….
La même foule, il y a mille neuf cent quatre-vingt-six ans, acclamait le Christ. Certains parce qu’ils pensaient qu’il allait restaurer la royauté en Israël, d’autres parce qu’ils l’avaient vu guérir les malades, d’autres parce qu’une foule suscite toujours des suiveurs.
Mais rien n’est plus versatile qu’une foule. La même acclame dimanche qui réclame la mort vendredi. La même applaudit le Pape qui le conspue quand quelques-uns s’y mettent. Comme tous les chiens d’un quartier aboient quand un seul a cru voir un facteur.
Nous passons si vite de l’espérance à la peur, de la confiance au doute ! Sans savoir si ce qui nous effraie est réel, a des chances de se produire, nous menace vraiment. Toujours, nous préférons savoir Barrabas en liberté : aucune chance d’être déçus par lui. Quand un criminel récidive, c’est la justice qui est mal faite. Quand un Saint ne résout pas nos petits ou nos grands embarras tout de suite, c’est qu’il ne vaut pas la peine qu’on l’invoque.
Un ancien maître de l’Ordre des dominicains, connu pour avoir une parole forte, piquante, drôle, encourageante, publiait il y a quelques années un texte qui répondait à la question « Pourquoi rester ? », sous entendu, dans l’Église. On lui rétorquerait volontiers « Pourquoi partir ? » mais on craindrait qu’aussitôt le coq se mette à chanter. Y a-t-il plus de grandeur à partir qu’à rester, plus de certitudes ?
Ou bien convient-il de marcher avec le petit troupeau, avant de tendre nos pieds sales pour qu’on les lave ? De quel droit exigeons-nous que l’Église soit parfaite quand nous ne le sommes pas tellement ? La seule religion qui mène à l’éternité est-elle à l’aune de notre âme ? Quand nous aurons testé d’autres chapelles, jusqu’à la nôtre où nous officierons seul et auto satisfait, comme autant de supérettes où l’on achète ce qu’on aime, jusqu’à ne vivre que sur les produits de notre potager domestique, nous porterons-nous bien mieux ?
Marchons avec le Christ vers la Pâque, et s’il faut choisir un rôle, un rang, des accessoires, soyons cet âne paisible, qui ne crie ni ne geint, se contentant de porter le Christ jusqu’à destination. Bourricots têtus et indociles, mais sachant accomplir humblement la tâche qui nous incombe.
Il y a plus de satisfaction à suivre qu’à divaguer. Plus de mérite à se taire qu’à braire. Marchons, du pas de l’âne.
Thierry Aillet,
Directeur Diocésain de l’Enseignement Catholique