Sur la colline Saint-Eutrope qui domine du haut de ses cent mètres la ville et le théâtre antique d’Orange, une statue monumentale de la Vierge haute de 2,50 mètres et pesant près de 1300 kilos, posée sur un socle massif de 5 mètres de haut, ouvre amicalement ses bras pour veiller sur la ville. Elle nous conte une histoire de presque deux siècles qui vient de s’enrichir récemment.
En 1854, le Pape Pie IX proclame le dogme de « l’Immaculée Conception » : la Sainte Vierge, mère du Christ est née sans être marquée par le péché originel d’Adam et Ève comme le reste de l’humanité. Trois ans à peine après, en 1858, une « belle dame » apparaît à la petite Bernadette Soubirous et sa sœur qui garde son troupeau, et, à sa seizième apparition, lui dit en patois : « Que soy l’immaculada Concepciou » (je suis l’Immaculée Conception).
C’est entre ces deux dates, en 1857 que le Curé d’Orange – l’Abbé Polette présente au Conseil municipal un projet destiné à marquer l’évènement : « M. le curé de la paroisse Notre-Dame se propose d’ériger, sur la montagne communale de Saint-Eutrope, une statue de la Vierge en mémoire de la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception. Pour l’exécution de cette pieuse pensée, M. le curé sollicite du conseil l’autorisation d’effectuer sur l’un des points culminants de cette montagne les travaux nécessaires et d’employer à ces travaux, comme piédestal de la statue, la colonne en granit qui est en ce moment placée sans destination utile... Cours Saint-Martin. »
L’inauguration a lieu le dimanche 25 octobre 1857, en présence de l’Archevêque d’Avignon – Mgr Jean-Marie-Mathias Debelay, 57 ans, ancien évêque de Troyes et Archevêque d’Avignon depuis 1848 -, en présence du Conseil municipal et de l’Abbé Polette, curé de l’ancienne cathédrale Notre-Dame-de-Nazareth. Mais de très violents orages retardent la cérémonie qui ne pourra se dérouler qu’à la nuit tombée.
À mi-hauteur du socle, une plaque de marbre immortalise cette inauguration, en oubliant de citer notre brave Curé Polette sans qui le monument n’aurait vu le jour : « Ils m’ont établie leur gardienne. Posuerunt me custodem. » En 1945, une plaque très sobre est posée pour la protection d’Orange pendant la Seconde Guerre :
En 1957, pour le centenaire, une plaque a également été posée :
Sur la partie supérieure du socle est gravé le blason de la ville : « D’azur, à trois oranges d’or sur leur branche de sinople feuillées du même, au chef aussi d’or chargé d’un cornet d’azur virolé et lié de gueules. » Les oranges sont des « armes parlantes » rappelant simplement le nom de la ville, et le cornet ou olifan rappelant les armes de la maison des Beaux qui furent seigneurs d’Orange. Le cornet rappelait le surnom de leur ancêtre – Guillaume d’Orange « le marquis au court nez » réputé compagnon de Charlemagne qui libéra Nîmes du joug des Sarrazins comme le conte la chanson de geste « Le Charroi de Nîmes. »
Sur une autre face, figure celui de Monseigneur Jean-Marie-Mathias Debelay, Archevêque d’Avignon, qui mérite une longue description :
Sur un ruban joliment nouée est gravé sa devise latine très effacée : « Posui vos ut eatis et fructum afferatis » (Jean 15 -16 : Je vous ai choisi afin que vous alliez et que vous apportiez du fruit. )
Juste au dessous, son chapeau d’où s’échappe de chaque côté le cordon artistement entrelacé, d’où pendent cinq rangées de houppes, la première rangée avec une houppe (ou gland), la cinquième avec cinq houppes, ce nombre renseignant sa qualité d’Archevêque…
En dessous, la croix à la double traverse des archevêques, puis son blason très simple, « D’azur, à la gerbe d’or » l’azur marial, et la gerbe répondant à sa devise tirée de saint Jean. N’oublions pas que nous sommes au milieu du XIXe siècle où toutes ces marques distinctives étaient encore naturelles : autres temps, autres mœurs...
C’est en 2020, en pleine pandémie du COVID 19 qui angoisse beaucoup de monde, que le Père Berger, curé de la ville d’Orange, et son Conseil paroissial, placent la commune sous la protection de la Vierge. Il déclare au journal Le Dauphiné : « J’ai profité d’aller marcher un peu pour monter jusqu’au belvédère de la colline et aller prier devant la statue de Notre-Dame du Château. En quelque sorte, j’ai demandé un miracle pour protéger Orange et Caderousse de la maladie. » Un ex-voto commémoratif est posé :
Le 8 décembre avait traditionnellement lieu une procession partant de la colline vers la cathédrale.
Par exemple en 2018 : « Le dimanche 8 décembre la procession mariale partira de la statue de Notre-Dame du Château à 17h30 (colline Saint-Eutrope à Orange). RV dès 17h15 pour la distribution des cierges. Prière du chapelet sur le parcours. Pour ceux qui ne peuvent pas marcher, il y aura la prière du chapelet à la cathédrale Notre-Dame d’Orange à 18h. À 18h30, nous chanterons les Vêpres à la cathédrale Notre-Dame. À la fin, il y aura la bénédiction des femmes enceintes. »
Tradition interrompue par la Covid19. En novembre 2020, en plein confinement COVID, couvre-feu et fermeture des églises, le Bulletin paroissial annonce : « Sans savoir si et comment les messes auront repris, sans savoir à ce jour si la procession sera possible, nous pourrons toujours monter sur la colline honorer Marie dans son image de Notre-Dame du Château. En y déposant un ex-voto : Orange confiante en la protection de Marie – Covid 19 – 8 décembre 2020 et en y apportant, famille après famille, un lumignon dans la nuit, nous pourrions donner un témoignage public de notre dévotion… et discret… »
En 2017, le monument est restauré : « Le 10 novembre 2017, la statue est déposée de son piédestal et amenée aux services techniques municipaux en vue de sa restauration. Du 14 au 16 novembre, les agents sablent en profondeur l’effigie afin de supprimer non seulement les traces de rouille, mais lui permettre également de retrouver un support sain. Le 17 novembre, les agents réparent des casses et colmatent les microfissures. La dernière étape de la restauration consiste à repeindre la statue. Les travaux se terminent le 24 novembre. » Le monument avait été inauguré sous la pluie à verse, la statue restaurée sera replacée sous la neige :
Allez donc vous aussi faire la promenade de la colline Saint-Eutrope : vous surplomberez le Théâtre Antique, vous découvrirez toute la ville, un moment d’enchantement, et vous détaillerez le monument à la Vierge, ses ex-voto et celui du Covid 19, ses plaques commémoratives, ses blasons et pourquoi pas, terminer par une prière, vous joignant ainsi aux générations de pèlerins qui sont venus y déposer leurs souffrances, leurs demandes et leurs remerciements.
François-Marie LEGOEUIL