Je suis devant la crèche de Saint-Ruf à Avignon. Ils sont bien là nos rois Mages : au centre, Balthazar le plus jeune et noir, agenouillé contemple l’enfant, le cadeau qu’il vient d’offrir déposé à ses pieds ; à gauche, Gaspard le plus vieux aux cheveux blancs, agenouillé aussi, tête baissée en signe d’adoration, est en train de présenter son offrande ; au centre, Melchior vient d’entrer, debout, son présent dans les mains.
Qui sont-ils, d’où viennent-ils ? Il faut remonter en l’an zéro de notre ère, lire Matthieu, le seul évangéliste qui en parle. (Mat 2-16) Seulement dix mots : « Or, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem… » Eh non, ils ne sont pas Rois, eh non, ils ne sont pas trois ! Sur leurs motivations, Matthieu est plus prolixe : ils cherchent « le Roi des Juifs qui vient de naître (car) nous avons vu son étoile à l’orient ». Hérode voulant éliminer un rival, demande aux mages de le prévenir dès qu’ils l’auront trouvé. Ils se remettent en route : « l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient les précédait, jusqu’à ce qu’elle vienne s’arrêter au-dessus de l’endroit où se trouvait l’enfant… ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe… avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin. »
Si nos crèches sont conformes à Matthieu pour l’adoration des mages et leurs cadeaux, l’imagination des peintres, des écrivains, et la tendre piété de nos ancêtres ont brodé le reste, ces détails qui en font le charme.
Par exemple, ils sont déjà trois au 6e siècle sur la mosaïque de Saint-Apollinaire de Ravenne : Matthieu évoque trois cadeaux, l’artiste imagine trois porteurs. Ils ne sont pas encore rois : venant de l’Orient, ils portent des bonnets phrygiens. Enfin, ils sont encore blancs tous les trois, évoquant les trois âges de la vie : la vieillesse, cheveux et barbe blancs, l’adolescence, menton imberbe, la maturité aux cheveux et barbe noirs. Ici, leurs bonnets le confirment, ce sont des mages : des observateurs du ciel pour qui cette nouvelle étoile ne peut qu’annoncer un évènement extraordinaire, comme la naissance d’un grand roi, selon les croyances du temps…
Cent ans plus tard, Bède le Vénérable, le saint Irlandais, confirmera la tradition de leurs prénoms : le vieillard Melchior offrira l’or à l’enfant Roi, le jeune imberbe Gaspard offrira l’encens à l’enfant Dieu, l’homme mûr Balthazar offrira la myrrhe à l’enfant Jésus qui souffrira la mort…
Au XIIe siècle., le chapiteau de la cathédrale d’Autun nous les montre enfin couronnés, des rois dormant sous la même couverture - chose habituelle à l’époque - tandis que l’ange du Seigneur montre l’étoile de son index gauche, et de son droit touche la main d’un roi pour lui signifier en songe de suivre l’étoile. Tandis que ses deux compagnons dorment encore, le songe le réveille, il ouvre des yeux étonnés : deux billes d’obsidienne brillantes. Il faudra attendre les explorations portugaises de l’Afrique au 15e siècle pour que Balthazar représente l’Afrique dans la crèche et qu’il devienne le Roi noir.
Et voilà comment, le 6 janvier, fête de l’Épiphanie (manifestation de Dieu sur terre) en Provence on peut chanter à tue-tête : « De grand matin, j’ai rencontré le train de trois grands rois qui partaient en voyage… » d’autant que l’église Saint-Ruf est juste derrière la gare…
François-Marie LEGOEUIL